Il m’aura fallu deux ans

Encore moi V/ !

Je lis, je crée, je fais des liens, je me sens inspirée, je ne sens pas de fatigue psychique, ni de neurones encrassés. J’ai les petits marteaux qui tapent vite et précis. J’ai le flux qui circule en courant continu. J’ai une énergie mentale grande mais canalisée.

Je suis comme avant.

Deux ans, il m’aura fallu deux ans pour ressentir la même chose qu’avant ma grossesse, intellectuellement parlant.

Hormones, allaitement, fatigue, épanouissement, émerveillement, nouveauté, densité… Espèce! Animal programmé pour concentrer sa puissance sur autre chose, (et quelle chose!), pendant une période donnée.

Bien sûr j’ai recommencé à échanger, penser, lire, travailler… bien avant aujourd’hui. Mais ce plein potentiel, cette pleine puissance, il m’aura fallu deux ans.

C’est hyper intéressant, quand : on a la chance de pouvoir l’observer sans stress, de pouvoir adapter sa vie en fonction, de pouvoir profiter de la vie avec un cerveau réorienté, d’avoir un entourage qui te donne ce temps.

C’est vertigineux quand on sait que c’est rarement le cas d’avoir tout ça.

Alors quelques conclusions que je voulais partager avec toi :

– je suis contente, I’m back

– je suis reconnaissante pour cette remontada, aux autres, à moi, à la vie

– j’ai l’impression que je reviens de loin

– je suis surprise, la récupération physique m’était connue, la récupération intellectuelle m’était inconnue (depuis j’ai lu des études scientifiques là-dessus, sais-tu qu’il y a aussi un impact neuronal chez les pères?)

– je ne suis certainement pas la championne de l’espèce, je crois que mon délai de récupération est indécemment en dessous de la moyenne

J’ai envie de faire un grand, un immense bravo à toutes ces femmes qui prêtent leurs neurones le temps d’un enfantement. Ou, si je suis un cas isolé, à celles qui arrivent à les garder pour elles !

Avec toute mon humilité,

F/.

Histoire de famille

Salut F/!

Et voilà, reprise des bonbons… et avec beaucoup d’énergie me concernant!

Et pour changer, je vais t’écrire sur un thème qui me tient à coeur, et qui a déjà été récurrent dans nos échanges… La famille!

Je viens de passer 24 heures avec mes beaux-parents, et même si nos relations se sont bien améliorées, il faut dire que ce sont toujours des moments douloureux pour moi… Trop de différences, dans la manière de penser, de vivre, de se comporter, de vivre une relation. Comme à chaque fois, je suis mise en difficulté, tiraillée entre mon incapacité à vivre paisiblement la situation, et la conscience que la manière dont je me rencontre est loin de ce que je prône en termes de valeurs, qu’il s’agisse du cadre personnel ou professionnel. Forcément, ça perturbe.

Et puis cette fois, alors que je me promenais avec eux au bord d’une rivière, j’ai commencé à me demander pourquoi la société nous imposait comme cela de faire des efforts, avec la famille nucléaire et la famille “rapportée”. Pourquoi est-ce si mal vu que de ne pas faire d’efforts avec ces personnes que, finalement, on n’a pas choisies? Pourquoi montre-t-on tellement du doigts untel qui est fâché avec sa soeur, ou unetelle qui ne parle plus à ses parents? Comme si ca devait être honteux de ne pas justement faire “l’effort qu’il faut” pour que ca se passe bien?

Couper des liens pensants, ca peut pourtant être libérateur aussi… alors, jusqu’où aller? Je sais que ces réflexions résonneront chez toi.

Grosses bises et bon dimanche,

V/.

Ma goutte d’eau dans la mer

Salut V/,


Temps radieux, printemps frémissant, et pourtant…

– Aujourd’hui la Russie envahit l’Ukraine, la famille et les amis de mon amie sont passés d’une vie comme nous à une vie suspendue. Du jour au lendemain. Et surtout la démocratie et la paix en Europe sont bafouées. Nous sommes à un tournant de l’humanité ?
– Aujourd’hui c’est la publication du rapport du GIEC, le volet impacts, adaptation et vulnérabilité. “Les mesures prises aujourd’hui façonneront l’adaptation de l’humanité et la réponse de la nature aux risques climatiques croissants”. Pas du tout du jour au lendemain. Insidieusement. Nous sommes à un tournant de l’humanité ?
– Aujourd’hui les mesures anti COVID sont allégées. On croit qu’on sort d’une pandémie mondiale qui a tout paralysé. Nous sommes à un tournant de l’humanité ?

Bien sûr que nous sommes à un tournant de l’humanité. Chacun de nos actes façonne l’avenir de l’humanité. Mais il y a des journées où on s’en rend compte plus que d’autres.

Je fais des dons, des souhaits, des relais, de petits actes, je fais tout ce que je peux faire dans cette journée pour mettre ma goutte d’eau dans la mer. Pour contribuer à ce que la trajectoire soit la bonne.
Penser que c’est trop tard, se sentir impuissant, se dire qu’on n’en fait pas assez, en vouloir aux dirigeants, être triste, écoeurée… c’est le combustible qui doit permettre de rester mobilisé, mais cela n’a pas d’autre utilité.


Ce bonbon est mon allumette pour transformer mon petit bois et arrêter de ruminer.
Je sais que tu comprends!


J’espère que tu vas vas bien, et plus prosaïquement que tu as fais comme nous provision de soleil avant le retour à la grisaille !


Bises.


F/.

En avoir ou pas

Salut V/,

Je réponds ici à ton mail, “les langues se délient vraiment” dans lequel tu m’envoyais cet article du monde : Avoir fait des enfants est ma plus grosse erreur” – Plongée au coeur du regret maternel.

Oui, quand je pense qu’il y a quelques années c’était encore ultra tabou.  Ce qui est fou c’est que ça ne change pas le passage de cap : même pour des femmes qui savent ça, et qui ont peur de regretter, elles font quand même des enfants.
Je pense que la programmation de l’espèce pour se pérenniser est redoutable pour nous.

Mais je pense aussi qu’il y a encore beaucoup à faire pour que l’éducation et la société « produisent » des femmes de 20 a 40 ans qui se disent qu’elles ont le choix, vraiment le choix entre « avec » ou « sans » enfants, et qu’elles n’auront pas raté leur vie si elles n’en font pas.

Moi j’ai l’impression d’avoir eu mon chemin de croix pour arriver à démêler le sujet. Accepter que je ne ressentais pas ce besoin évident et impérieux, accepter de ne pas comprendre pourquoi je n’en avais pas envie comme la plupart de mes amies, accepter que ça me poserait quand même problème de ne pas en avoir, comprendre pourquoi ça me poserait problème, décider finalement que je n’en avais vraiment pas envie, mais savoir que si je n’avais jamais « la possibilité concrète » d’en faire je resterais quand même sur un non choix, de finalement avoir le choix, et de décider de ne pas en faire, m’appaiser enfin, voir enfin les réactions autour s’appaiser et me laisser en paix avec mon choix de vie (sans), pour finalement avoir un kairos ou on a eu envie d’en faire un (et le faire)… sans comprendre vraiment pourquoi !

Tout ce processus de décision est extrêmement incompréhensible irrationnel et subtil, tellement intime, et en même temps il ne dépend pas complètement de nous. Si l’on n’arrive pas à créer un espace aux femmes pour qu’elles puissent y renoncer (à la maternité) vraiment en paix, en ayant le choix et en sachant pourquoi, on continuera de créer des mères piégées.

Je ne comprends pas pourquoi la parentalité est présentée comme une chose évidente que tout le monde peut faire, contrairement à une carrière ou une performance artistique ou sportive… je ne comprends pas que personne ne se gargarise d’arriver à être parent alors qu’on le fait pour une promotion ou un achat de maison. C’est quand même beaucoup plus engageant et difficile d’être parent !

C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a fait me poser des questions aussi longtemps. À 20 ans ma devise était « dans la vie, tout est réversible », ce qui me permettait de prendre des décisions sans peur. À 21 ans après mon avortement, j’ai changé de maxime pour « tout est réversible, sauf la vie et la mort ». Faire un enfant (la vie) m’apparaissait comme le seul choix impossible à faire pour moi puisque non réversible, donc à enjeux et responsabilité surdimensionnés pour ma petite personne.

On doit montrer patte blanche pour chaque boulot, chaque responsabilité sociale, prouver nos compétences et notre expérience. On doit demander des autorisations et des habilitations pour tout, même pour poser un abri de jardin. Mais absolument rien pour faire un enfant. C’est la beauté de la chose, c’est sans doute la liberté ultime aussi (sélectionner les gens aptes à faire des enfants est absolument impensable et horrifiant cf des faits déjà avérés).
Mais la liberté vraiment ultime serait, en tant que femme, de pouvoir aborder la chose de façon complètement allégée des contraintes sociétales biologiques et familiales. Pas possible aujourd’hui.

Je suis profondément heureuse de mon choix aujourd’hui, mais je sais que j’étais heureuse aussi en suivant l’autre voie. Il faut dire (très tôt !) aux femmes que les deux voies/voix sont possibles. Mais elles sont exclusives, et à partir d’un certain âge irréversibles toutes deux ! Ce choix crucial est pour moi le fardeau le plus lourd de la condition féminine.

F/.

Janvier c’est long, comme ce bonbon !

Chère V/,


C’est janvier ! Nous avons tous nos saisons, je ne sais pas ce que représente janvier pour toi. Est-ce que tu es en forme ? Est-ce que tu vois la vie en rose ?


Autour de moi, je sens que c’est plutôt mou. Certains vivent des choses très dures, comme si la trêve de Noël s’était arrêtée brutalement. D’autres sont sur de nouveaux départs, qui promettaient de l’énergie nouvelle, mais tout part au ralenti et c’est comme si les chevaux n’étaient pas “franchement lâchés”. D’autres vont très bien et sont dans une période enthousiaste, mais me disent qu’ils ont la sensation qu’il faut beaucoup d’efforts pour faire ce qui paraît pourtant simple. D’autres encore déroulent leur “winter action plan” préparé au moment où les jours raccourcissent, pour ne pas tomber dans la déprime en janvier.

De façon générale, j’ai la sensation que janvier est un mois où les énergies ne sont pas très circulantes, où l’excitation des fêtes retombe, où le temps pousse à se retrancher chez soi. Cette année, réalité ou excuse, s’ajoute à cela la lassitude de ces deux années de COVID où le “stop and go” a fatigué même les plus énergiques. Difficile donc de s’abreuver à la rivière commune, de compter sur l’extérieur pour se redynamiser, où de lancer des choses à la force du poignet. Note au passage, l’équinoxe de printemps serait un moment bien plus sympa pour commencer l’année !


De mon côté, janvier est toujours un mois de relâchement, presque de soulagement.
Comme prise par surprise tous les ans, après une période de trois mois de “rentrée” dynamiques, j’arrive fin décembre souvent épuisée. Je gère mal les 100 derniers mètres. A fortiori quand je suis en contact avec des groupes à animer, des personnes à coacher, des réunions de famille à organiser, je sens que j’ai des fuites. Mon énergie se donne sans contrôle et à trop haut débit par rapport au réservoir disponible.Ensuite arrivent les fêtes.

Je suis bête mais je me soigne : à force d’être surprise tous les ans, j’ai fini par trouver un rituel de fin d’années qui soigne (pas seule, donc j’ai beaucoup de gratitude pour mon mari et ma famille qui permettent cela). Des fêtes plus frugales en déplacements, en cadeaux et en nourriture (moins mais mieux). Des fêtes plus paisibles, en famille réduite. C’est le début du recentrage. Et enfin, quelques jours de retraite Bouddhiste à deux, forme un peu aménagée cette année car beaucoup de visio et pas de grands rassemblements, mais quand même un recentrage qui n’était pas du luxe.


En janvier ? Eh bien tous les ans en janvier, j’ai envie de me retirer, de profiter de me sentir à nouveau “juste bien”. L’énergie est toujours basse, mais l’orientation devient positive. L’encombrement intellectuel et émotionnel lourd de décembre font place à une petite clarté, minuscule mais très précieuse. L’angoisse du futur se tait, l’avenir s’ouvre, les journées rallongent. Il faut cultiver cela, patiemment, en retrait le plus possible, avant de revenir au monde. Souffler sur les braises. Cette année, cela se manifeste par des heures à lire et à creuser des sujets qui n’ont pas de lien avec ma subsistance ou mes obligations. Je retrouve la lenteur et le plaisir de croiser les sources pour affiner une info, un facétieux souci du détail et ma frénésie de maîtriser toutes les finesses d’un sujet et pas seulement ce qui est réellement utile (par exemple, les différents types de bonite qui servent à faire le bouillon dashi dans la cuisine Japonaise, j’affirme que ça n’est pas vraiment utile…). Bref, en termes MBTI je suis encore sur un fonctionnement “sur mon inférieure” et “en récupération”… mais bien orientée !


Au milieu du courant quotidien et de ses obligations, depuis un de ces petits moments de retrait, je clos ce bonbon long, que je t’envoie avec mes meilleurs vœux affectueux pour cette année.

Puisse janvier prendre soin de toi.


F/.

Je suis une succession d’états, pas une histoire cohérente

Chère V/,

Ça bouillonne cette semaine, j’ai l’impression que la bonbonnière est pleine mais les bonbons sont collés entre eux je n’arrive pas à en attraper un petit bien rond et bien précis.
Je vais donc commencer par le début de la semaine : lundi j’ai pleuré. Je me suis retrouvée à pleurer dans la rue en marchant, marcher était la seule chose qui me paraissait faisable alors j’ai encore marché. Quand je m’arrêtais je n’étais pas bien, alors je recommençais à marcher.


Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas été déprimée ainsi, profondément, sans événement ou raison. Un genre de peine pure et entière. C’était un collapse comme j’en connais régulièrement (toutes les quelques années aujourd’hui, tous les quelques mois quand j’avais 25 ans…). Un signe de ponctuation dans ma vie que je connais bien. En y réfléchissant, je crois même que c’est un point virgule.


Je te passe toutes les interprétations possibles et imaginables, parce que justement c’est cela que je voulais partager ici. Cet état n’a pas d’histoire.
Cet état, il est autosuffisant. Il existe, il est palpable, quand il est là, à cet instant, il est important, grave, profond, il m’ébranle.Même si il n’est pas lié à un évènement, même si objectivement il n’y a pas de raison qu’il s’élève. Il ne faut pas tourner les talons, l’ignorer, faire comme si il n’existait pas.Cet état, il est violent. Quand il est là j’ai besoin de repli, de protection, de douceur et d’inaction.Cet état, ça n’est pas “c’est l’hiver, il fait gris, tu es fatiguée, tu as trop pris sur toi, tu n’es pas superwoman…”.Cet état ça n’est pas “repasse en revue tes derniers mois, ta dernière année, il y a forcément une explication, cherche encore”.Cet état ne pars pas en “faisant ci, faisant ça”.


Je revendique ce droit à être très mal, juste ici et maintenant, et à avoir été très bien, pendant longtemps et juste avant.
Je revendique le fait que c’est grave, pendant peut être 24 ou 48h. Mais que ça n’existe plus après.Si avant je suis heureuse, et après aussi, ça ne minimise pas le trou noir dans lequel je suis à ce moment là. Je n’ignore pas le bien à l’échelle de ma vie, il n’est juste plus là à ce moment-là.


Je revendique aussi le fait que quand c’est fini, il n’y a pas de faux semblant. Quand c’est fini, je suis bien, et c’est vrai. Je n’ignore pas le mal qui s’est invité dans ma vie, il n’est juste plus là.
Voilà, je voulais crier au monde à travers toi et ce bonbon que je revendique ce droit à être “une successions d’états d’être” et à être dans l’état ou je suis au moment où je le suis. Ne pas être jugée comme une histoire cohérente sur la durée, ou résumée à une vérité “moyennisée” sur la durée. Ne pas être interprétée comme étant “dans le vrai” ou “dans le faux” à certains moments alors que je suis simplement dans ma vie à chaque instant.


Alors oui c’est déstabilisant, oui c’est bizarre, mais c’est la réalité.
John Welwood disait, avec de bien plus jolis mots, que la vie est schématiquement comme une succession de vagues, ou bien de sommets et de vallées. Il ne sert à rien d’avoir peur quand on est en haut puisque l’on va de façon certaine redescendre à un moment, et il ne sert à rien de déprimer lorsque l’on est en bas puisque l’on va forcément remonter un jour.Mais avec la pratique, la méditation, la concentration, l’éveil… (appelle cela comme tu le souhaites), on acquiert quelque chose qui fait que les vallées sont moins profondes. On a alors l’impression que l’on est moins heureux, moins euphoriques des sommets. La vérité c’est plutôt que les vallées se sont comblées.


 Je t’embrasse du fond de la vallée, ce bonbon colle un peu mais finalement il est sorti du pot !


F/.

Tristesse

Salut F/,

Depuis ce matin, je suis triste. Profondément triste. Une de ces tristesses que tu emmènes partout avec toi. Une tristesse à laquelle je ne suis pas habituée, moi qui suis bien plus familière de la joie et de la colère. Je ne savais pas avec qui la partager, que faire de cette tristesse. Et puis je suis tombée sur le livre “365 jours pour retrouver son âme d’enfant” de Christie Vanbremeeersch, et j’ai pensé à toi, à ces bonbons, comme lieu de dépôt des émotions.


Je suis triste car ce matin, mon mari est allé faire un tournage pour une nouvelle appli de rencontres. Un tournage bénévole, pour faire plaisir à une copine, un dimanche matin. Encore un tournage où il doit faire semblant de tomber amoureux d’une femme, puis l’embrasser, pour “la beauté de l’art”. Je dis “encore”, car cela fait plusieurs fois, en 10 ans, que cela arrive. Il y a eu le court métrage – nous nous connaissions depuis quelques semaines – où il embrassait à pleine bouche la comédienne dans la scène finale. La pièce de théâtre où il était fou amoureux d’une autre et où toutes ses scènes tournaient autour de la séduction de cette femme. Et d’autres encore. Et à chaque fois, ça me tord le bide.


Je crois que ce qui me tord encore plus le ventre que la scène elle-même, c’est l’incompréhension dont il fait preuve quand je lui fais part de mon sentiment de tristesse. Il se braque, se ferme, me trouve ridicule… La communication est impossible, je me sens comme la petite chieuse qui fait son caprice, qui empêche son mari de se rapprocher un peu plus de son rêve de devenir comédien. Je ne comprends pas qu’on puisse nier un sentiment aussi fort chez son partenaire de vie. Qu’on ait aussi peu envie de le comprendre.


Alors je vais utiliser les ficelles habituelles. Dormir, faire du sport, voir les gens qui me font du bien. Mais malgré tout, je ne sais pas quoi faire de cette tristesse, et je sais qu’elle reste là, tapie, jusqu’à la prochaine fois.


Merci en tout cas de la recevoir dans ce bonbon. Je ne sais pas si c’est réconfortant, mais déjà, ça fait du bien.


Bises et bon week-end,

V/.

Quand tu te lèves dans le brouillard

Chère V/,


Ce matin je me suis levée avec la tête dans le brouillard, une espèce de brume entourant les perspectives de la matinée, de la journée, de la vie même. Je n’aime pas ça. Personne n’aime ça. Alors on en fait quoi ?


C’est le genre de réveil qui me faisait activer quand j’étais plus jeune le mode “démission” : cette journée est fichue, j’attends demain, je ne fais rien, je suis tétanisée, je reste au lit… Rien de tel pour s’enfoncer un peu plus dans le brouillard !

Ensuite je suis passée au mode forcing : tout me paraît noir, alors j’essaye d’en faire des tonnes pour que la journée devienne extrêmement productive; ou “comment donner du sens à ta vie en entreprenant des choses le jour où tu es le plus mal lunée”. Tu la sens la mauvaise idée ?

Plus tard j’ai adopté ton expression : je fais la planche ! Je fais face et je déroule ma journée. De là à nager le crawl non, mais au moins je ne reste pas sur la plage toute la journée. Et là, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise : parfois l’horizon apparaît vite, et clément ! Sinon, on a quand même fait mieux que rien.

Aujourd’hui, j’ai fait évoluer ma technique, je cherche en premier lieu le petit radeau qui me fera prendre le courant. Ne surtout pas me poser de questions, et parmi ma liste de possibles choses à faire, ne pas commencer par la plus urgente ou la plus importante mais par la plus motivante. De quoi ai-je envie pour dissiper le brouillard et trouver l’énergie ? Tu vois ce matin, c’était un café au village, un coup de fil, et un bonbon.


Quoi de tel qu’un test grandeur nature pour sentir ce que ça fait d’envoyer et de recevoir à nouveau des bonbons ? Moi ça me fait : chaud au coeur de retrouver ce lien avec toi, des petits papillons dans le ventre aussi parce que c’est un peu intimidant, ça m’excite d’écrire à nouveau dans cet espace, et ça me vexe que le premier bonbon sente la glaise comme ça (bonjour la honte ? Ah ah). Mais c’est bien le principe de l’Upside Down : partager ce qui est là, glorieux ou pas !


Je t’embrasse, et je fais la planche, mais je sens déjà mon orteil gauche qui commence à battre.


F/.

Vous n’aurez pas ma peur

Salut F/!


Comment vas-tu, en cette première semaine de déconfinement? Comme tu me le disais récemment, cela n’a peut-être pas changé grand chose pour vous… Ici non plus, du fait de l’absence de reprise d’école, le changement n’est pas net… Même si la réouverture de certains magasins, dont ma librairie chérie, m’a mis le coeur en joie ce matin!


Ce week-end, alors que nous faisions un dernier tour de quartier munis de nos fameuses attestations, nous sommes passés devant la maison d’une de mes amies qui venait d’avoir un bébé au moment où le coronavirus a commencé à frapper la France. Je lui ai passé un coup de fil, lui proposant de nous dire bonjour à la fenêtre. Nous retrouvant avec plaisir, elle nous a proposé d’entrer, ce que nous avons fait sans nous poser de questions. Cela nous faisait plaisir à nous aussi de retrouver un semblant de vie sociale, et les enfants étaient ravis de mettre les pieds dans un logement différent de notre appartement!


Au bout de quelques minutes, par contre, je ressens un énorme malaise. Il me saute au yeux que son ami n’est lui pas ravi du tout de nous voir ici. Il tient ses distances, ne décroche pas un mot, et regarde nos enfants (qui, comme toujours, il faut bien l’avouer, ont vite pris possession des lieux) avec un regard désapprobateur. Tout, de son langage non verbal, nous disait de partir, ce que, gênés, nous avons fait au bout de quelques minutes.


Ma première réaction a été de juger son attitude, la trouvant un peu ridicule, à quelques heures de la fin du confinement. Après réflexion, je crois aussi (et c’est intéressant d’une certaine manière) que j’ai été un peu choquée, pour la première fois de ma vie, de m’être sentie sale, dangereuse. En tant que franco-allemande, j’ai souvent fait l’expérience de la différence, d’être vue comme une “autre”. Mais jamais je n’avais expérimenté ce que certaines personnes racisées racontent, comme l’avaient fait les employés de Roissy qui me racontaient leurs de histoires de clients qui ne voulaient pas qu’ils les touchent en rendant la monnaie, ou qu’ils touchent leurs enfants. Ou les personnes d’origine asiatique, qui souffrent de ce types de comportements depuis l’arrivée du virus en Europe. Franchement, c’est dur, violent, humiliant.


Finalement, je crois que mon sentiment qui perdure, c’est celui de la tristesse. Comment en sommes-nous arrivés là? A boire l’apéro ensemble début mars, et à ne plus supporter de passer quelques minutes ensemble deux mois après? A faire des détours énormes sur les trottoirs pour ne pas se croiser? A coller du scotch par terre dans les écoles et à refuser que les enfants jouent ensemble? C’est ca la vie, à partir de maintenant? Ca n’a pas de sens, et j’irais même jusqu’à dire que je n’en veux pas, de cette vie-là. Le contact humain, y compris physique, est ce qui rend nos vies intéressantes, vibrantes. Je ne veux pas qu’on me vole du temps de vie là-dessus.


Je t’embrasse, et espère te revoir, en vrai et de près, bientôt,

V/.

Beaucoup de bruit pour rien …

Salut V/ !


Je te retrouve sur ce canal après une longue absence. J’ai délaissé mon ordinateur parce que je saturais de mon ordinateur. Autant je vis bien le confinement, autant la connexion permanente “de tout le monde à tout” commence à me peser. Ca n’est pas tant le fait bosser en télétravail, ce que je fais souvent, mais le fait que tout le monde n’ait que le téléphone et l’ordinateur pour communiquer. Cela sature ma bande passante numérique.


Je suis dans mon premier jour de vacances confinées, et je tente une déconnexion professionnelle totale. Ce matin dans ces conditions, j’ai pris conscience que le foisonnement actuel su la prospective de “l’après COVID19” ne m’intéresse plus du tout. J’ai l’impression d’avoir été noyée sous les articles, prises de parole et autres essais, reçus transférés et trouvés. Chacun y va de “celui-ci est vraiment mieux”, “celui-là est le meilleur que j’aie lu” (y compris moi), typiquement les phrases qu’on est obligés de mettre en épithète pour faire émerger de la masse quelque chose. Oui c’est cette “masse” qui me fatiguais ces derniers temps. Là où d’habitude on te donne un article parce que tu t’intéresse à un sujet, ou le sujet en lui même suffit pour te donner envie de lire car il t’interpelle et n’est pas traité par n’importe qui, en ce moment tout le monde traite du même sujet avec un angle différent. Et tout le monde a et donne son avis, comme si tous les avis se valaient, avec pas forcément de données ou d’expériences qui apportent quelque chose. Je ne sais pas comment va être appelé ce syndrome là, il va forcément avoir un nom s’il n’en a déjà un, mais je souffre de covidoprospective saturation !  Un peu la même sensation que quand je me risque sur Linkedin, après un moment d’intérêt je ressors avec “Un goût de rien…”.


Je suis aussi fatiguée de l’excitation ambiante, je ressens certes une saturation de l’espace de parole et de discussion comme je le disais précédemment, mais aussi une façon de traiter les choses de toutes parts qui est paradoxale : tout est à l’arrêt, on parle de ralentir, et l’on maintien une forme de tension artificielle et de débauche d’énergie, là où une canalisation serait plus vertueuse. (Je ne parle pas évidemment des personnels de santé et secours…).


Bref, je sais bien qu’occuper le terrain est un réflexe bien normal pour combler le vide, mais un peu de vide sain dans l’espace de parole public, professionnel, digital en général ne me ferait pas de mal. Et je m’en vais donc me faire l’équivalent d’une semaine sans lecture, mais uniquement sans lecture “digitale” et garder mes romans, et messages amicaux et familiaux. Exit mails, newsletters et channels d’actualité ! Bonjour travaux physiques et manuels.


Je t’embrasse, merci de faire partie de ce qui reste 😉
F/.