Salut V/,
Je réponds ici à ton mail, “les langues se délient vraiment” dans lequel tu m’envoyais cet article du monde : “Avoir fait des enfants est ma plus grosse erreur” – Plongée au coeur du regret maternel.
Oui, quand je pense qu’il y a quelques années c’était encore ultra tabou. Ce qui est fou c’est que ça ne change pas le passage de cap : même pour des femmes qui savent ça, et qui ont peur de regretter, elles font quand même des enfants.
Je pense que la programmation de l’espèce pour se pérenniser est redoutable pour nous.
Mais je pense aussi qu’il y a encore beaucoup à faire pour que l’éducation et la société « produisent » des femmes de 20 a 40 ans qui se disent qu’elles ont le choix, vraiment le choix entre « avec » ou « sans » enfants, et qu’elles n’auront pas raté leur vie si elles n’en font pas.
Moi j’ai l’impression d’avoir eu mon chemin de croix pour arriver à démêler le sujet. Accepter que je ne ressentais pas ce besoin évident et impérieux, accepter de ne pas comprendre pourquoi je n’en avais pas envie comme la plupart de mes amies, accepter que ça me poserait quand même problème de ne pas en avoir, comprendre pourquoi ça me poserait problème, décider finalement que je n’en avais vraiment pas envie, mais savoir que si je n’avais jamais « la possibilité concrète » d’en faire je resterais quand même sur un non choix, de finalement avoir le choix, et de décider de ne pas en faire, m’appaiser enfin, voir enfin les réactions autour s’appaiser et me laisser en paix avec mon choix de vie (sans), pour finalement avoir un kairos ou on a eu envie d’en faire un (et le faire)… sans comprendre vraiment pourquoi !
Tout ce processus de décision est extrêmement incompréhensible irrationnel et subtil, tellement intime, et en même temps il ne dépend pas complètement de nous. Si l’on n’arrive pas à créer un espace aux femmes pour qu’elles puissent y renoncer (à la maternité) vraiment en paix, en ayant le choix et en sachant pourquoi, on continuera de créer des mères piégées.
Je ne comprends pas pourquoi la parentalité est présentée comme une chose évidente que tout le monde peut faire, contrairement à une carrière ou une performance artistique ou sportive… je ne comprends pas que personne ne se gargarise d’arriver à être parent alors qu’on le fait pour une promotion ou un achat de maison. C’est quand même beaucoup plus engageant et difficile d’être parent !
C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a fait me poser des questions aussi longtemps. À 20 ans ma devise était « dans la vie, tout est réversible », ce qui me permettait de prendre des décisions sans peur. À 21 ans après mon avortement, j’ai changé de maxime pour « tout est réversible, sauf la vie et la mort ». Faire un enfant (la vie) m’apparaissait comme le seul choix impossible à faire pour moi puisque non réversible, donc à enjeux et responsabilité surdimensionnés pour ma petite personne.
On doit montrer patte blanche pour chaque boulot, chaque responsabilité sociale, prouver nos compétences et notre expérience. On doit demander des autorisations et des habilitations pour tout, même pour poser un abri de jardin. Mais absolument rien pour faire un enfant. C’est la beauté de la chose, c’est sans doute la liberté ultime aussi (sélectionner les gens aptes à faire des enfants est absolument impensable et horrifiant cf des faits déjà avérés).
Mais la liberté vraiment ultime serait, en tant que femme, de pouvoir aborder la chose de façon complètement allégée des contraintes sociétales biologiques et familiales. Pas possible aujourd’hui.
Je suis profondément heureuse de mon choix aujourd’hui, mais je sais que j’étais heureuse aussi en suivant l’autre voie. Il faut dire (très tôt !) aux femmes que les deux voies/voix sont possibles. Mais elles sont exclusives, et à partir d’un certain âge irréversibles toutes deux ! Ce choix crucial est pour moi le fardeau le plus lourd de la condition féminine.
F/.