Chère V/,
Ça bouillonne cette semaine, j’ai l’impression que la bonbonnière est pleine mais les bonbons sont collés entre eux je n’arrive pas à en attraper un petit bien rond et bien précis.
Je vais donc commencer par le début de la semaine : lundi j’ai pleuré. Je me suis retrouvée à pleurer dans la rue en marchant, marcher était la seule chose qui me paraissait faisable alors j’ai encore marché. Quand je m’arrêtais je n’étais pas bien, alors je recommençais à marcher.
Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas été déprimée ainsi, profondément, sans événement ou raison. Un genre de peine pure et entière. C’était un collapse comme j’en connais régulièrement (toutes les quelques années aujourd’hui, tous les quelques mois quand j’avais 25 ans…). Un signe de ponctuation dans ma vie que je connais bien. En y réfléchissant, je crois même que c’est un point virgule.
Je te passe toutes les interprétations possibles et imaginables, parce que justement c’est cela que je voulais partager ici. Cet état n’a pas d’histoire.
Cet état, il est autosuffisant. Il existe, il est palpable, quand il est là, à cet instant, il est important, grave, profond, il m’ébranle.Même si il n’est pas lié à un évènement, même si objectivement il n’y a pas de raison qu’il s’élève. Il ne faut pas tourner les talons, l’ignorer, faire comme si il n’existait pas.Cet état, il est violent. Quand il est là j’ai besoin de repli, de protection, de douceur et d’inaction.Cet état, ça n’est pas “c’est l’hiver, il fait gris, tu es fatiguée, tu as trop pris sur toi, tu n’es pas superwoman…”.Cet état ça n’est pas “repasse en revue tes derniers mois, ta dernière année, il y a forcément une explication, cherche encore”.Cet état ne pars pas en “faisant ci, faisant ça”.
Je revendique ce droit à être très mal, juste ici et maintenant, et à avoir été très bien, pendant longtemps et juste avant.
Je revendique le fait que c’est grave, pendant peut être 24 ou 48h. Mais que ça n’existe plus après.Si avant je suis heureuse, et après aussi, ça ne minimise pas le trou noir dans lequel je suis à ce moment là. Je n’ignore pas le bien à l’échelle de ma vie, il n’est juste plus là à ce moment-là.
Je revendique aussi le fait que quand c’est fini, il n’y a pas de faux semblant. Quand c’est fini, je suis bien, et c’est vrai. Je n’ignore pas le mal qui s’est invité dans ma vie, il n’est juste plus là.
Voilà, je voulais crier au monde à travers toi et ce bonbon que je revendique ce droit à être “une successions d’états d’être” et à être dans l’état ou je suis au moment où je le suis. Ne pas être jugée comme une histoire cohérente sur la durée, ou résumée à une vérité “moyennisée” sur la durée. Ne pas être interprétée comme étant “dans le vrai” ou “dans le faux” à certains moments alors que je suis simplement dans ma vie à chaque instant.
Alors oui c’est déstabilisant, oui c’est bizarre, mais c’est la réalité.
John Welwood disait, avec de bien plus jolis mots, que la vie est schématiquement comme une succession de vagues, ou bien de sommets et de vallées. Il ne sert à rien d’avoir peur quand on est en haut puisque l’on va de façon certaine redescendre à un moment, et il ne sert à rien de déprimer lorsque l’on est en bas puisque l’on va forcément remonter un jour.Mais avec la pratique, la méditation, la concentration, l’éveil… (appelle cela comme tu le souhaites), on acquiert quelque chose qui fait que les vallées sont moins profondes. On a alors l’impression que l’on est moins heureux, moins euphoriques des sommets. La vérité c’est plutôt que les vallées se sont comblées.
Je t’embrasse du fond de la vallée, ce bonbon colle un peu mais finalement il est sorti du pot !
F/.