Personne ne sait

Salut F/,


Alors, comment se passent ces premiers jours de quarantaine au moulin? Vous trouvez un rythme qui vous convient ? De notre côté, équilibre pas évident à trouver, mais nous voyons cette période comme une expérience! Heureusement, les temps de sieste et les soirées sont là pour passer un peu de temps de qualité à deux ou chacun pour soi, ce qui me permet de réfléchir à ce qui se passe et à la manière dont je vis cette période.


Je crois que depuis toujours, j’ai pensé que quelqu’un avait des réponses à mes questions. Peut-être mes parents enseignants, mon grand-père ultra curieux, qui avaient toujours des réponses à me proposer. Mais aussi, je crois, une idée largement répandue en France que quelque part, et surtout dans les hautes sphères, des personnes responsables et érudites savent.

La première désillusion est venue lors de mon premier stage en école de commerce. J’avais appris le monde de l’entreprise comme un monde organisé, bien pensé et exécuté, et je découvrais un immense bordel. Entre les cours de comptabilité, de droit, de systèmes d’information, personne ne nous avait parlé des difficultés interpersonnelles si difficiles à régler, des décisions si difficiles à prendre quand on ne peut pas prévoir ce qui se passera dans les mois à venir.

Il y a ensuite eu la découverte du monde des élus, puis des comités de direction, où j’ai compris une fois de plus que oui, même s’il y a des gens brillants, avec une grosse capacité de travail et d’engagement, nous sommes tous humains, et tout n’est pas maîtrisable, loin de là. Il y a tant de situations où on ne sait pas.

Le coronavirus met une fois encore brillamment en lumière ce point. Personne ne sait comment les choses vont évoluer, pourquoi elles évoluent comme elles évoluent, quel sera l’impact sur notre économie, sur les relations humaines, sur la manière dont les gens vont réagir à ces semaines de confinement, ni comment ils réagiront à la sortie. C’est à la fois angoissant, de se dire que personne ne sait, et terriblement rassurant à la fois. En tout cas, moi, ca me donne envie d’affirmer ce que je pense, et d’écouter ce que pensent les autres, sans prendre cet avis pour acquis et “boire leurs paroles”, comme cela a été tellement de fois le cas par le passé.


Peut-être, je l’espère, que cet épisode du coronavirus donnera envie à chacun de s’engager pour ce qui compte pour lui, qu’on se rendra tous compte que nous sommes responsables de construire la vie et le monde dont nous avons envie. Je finis justement le livre de Michelle Obama, qui vient parfaitement corroborer ce propos.


Je te souhaite de belles journées de confinement, riches et sereines!

V/

La vie que tu as choisie

Salut F/,


Comment vas-tu en cette drôle de période ? On le savait, on l’anticipait, que la France prenait le même chemin que l’Italie, mais les annonces d’hier soir et la fermeture des écoles rendent la chose tout à coup beaucoup plus réelle…
Dans ce tumulte intérieur et extérieur (bien que les Nantais ne semblent pas spécialement inquiets ni fébriles, même aujourd’hui), je suis tombée ce matin par le biais d’une de nos amies communes sur un article écrit par un romancière italienne, Cristina Comencini, qui adresse une lettre aux Français. Elle y raconte la situation en Italie, le confinement, la queue aux supermarchés… Et surtout, elle y partage une idée que j’ai trouvée très intéressante : que le confinement mettait chacun, de manière plus ou moins brutale, face à sa vie et à ses choix :

“Est arrivé le moment de la vérité, pour les couples qui ne se supportent pas, pour ceux qui disent s’aimer, ceux qui vivent ensemble depuis une vie entière, ceux qui s’aiment depuis peu de temps, ceux qui ont choisi de vivre seuls par goût de la liberté ou parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix, pour les enfants qui n’ont plus école, pour les jeunes qui se désirent mais ne peuvent pas se rencontrer… Nous sommes tous appelés à nous inventer une nouvelle vie, à nous sentir proches même si nous sommes éloignés, à régler nos comptes avec un sentiment que nous évitons à tout prix : l’ennui. Et la lenteur aussi, le silence, les heures vides – ou pleines des cris des enfants enfermés à la maison. Nous avons en face de nous la vie que nous nous sommes choisie, ou que le sort nous a donnée, notre «foyer» – non celui de la maladie mais celui que nous avons construit au cours des années. Je nommerais cela une épreuve de vérité.”

La décision de confinement général n’ayant pas été prise, je ne suis pas encore en mesure de tirer mes propres conclusions. Mais j’ai trouvé amusante l’idée d’anticiper et de me poser la question : comment vivrais-je cette situation? et quels en seraient les principaux enseignements? En serais-je à regretter d’avoir pris la décision d’entreprendre, alors que j’aurais été certainement plus protégée en tant que salariée, au moins à court terme? Serais-je en mesure de supporter ces semaines enfermée chez moi avec mes enfants (et heureusement, notre résidence dispose de vastes espaces verts!)? Aurions-nous des sujets de conversation variés avec mon mari, ou tournerions-nous en boucle après quelques jours ? Comment vivrais-je la privation de liberté?

Le coronavirus nous amènera donc à des questionnements philosophiques, certainement. Je me demande d’ailleurs si tu as décidé de vivre cette période à Paris ou plutôt au Moulin?
Grosses bises, et à très vite, au moins par mail ou téléphone,

V/