Solitude générationnelle

Hello V/ !

Toujours un peu dans la machine à laver, j’ai l’impression que le mois de juin a comme d’habitude fait l’effet d’une fin de programme pour moi : je suis rincée, essorée! Mais l’avantage c’est que je sens que l’ouverture du hublot est proche 🙂 Merci de me procurer un point fixe quand je regarde à travers, c’est un des ancrages précieux qui m’aide à ne pas avoir le mal de mer. Trêve de métaphore ménagère, je viens partager avec toi un drôle de sujet : je suis à la recherche de ma génération.

Ces derniers temps j’ai commencé à penser mes coups “à 3 bandes” : l’étape suivante, puis l’autre, qui mène à dans 10 ans. “Dans 10 ans” c’est une intuition mêlée de quelques images, absolument pas une position précise. Je réfléchis sous l’angle professionnel parce que c’est là qu’est le point d’inflexion aujourd’hui, mais du coup cela tire des sujets plus larges. Pour aider, j’ai rencontré et échangé avec pas mal de monde. En très peu de temps.

J’en suis ressortie avec un sentiment de solitude générationnel.


Je me sens vieille, et jeune, et trop vieille, et trop jeune, et où sont-ils les gens de mon âge ? Age tout court, mais aussi âge mental, physique, professionnel, spirituel… Je parle plutôt de maturité que d’âge en nombre d’années en fait.

J’ai pourtant fini ma 36è année en me disant que c’était une des plus belles de ma vie. Pleine, épanouie, simple, alignée, redistribuante (c’est moche mais ça dit bien ce que ça veut dire!). Un sentiment de justesse et d’harmonie qui se suffit à lui même mais qui circule autour. L’âge en soi n’était pas un sujet, j’ai toujours senti la vie comme des cycles, et à un niveau très personnel j’avais l’impression de “bien habiter mon âge”. Et pourtant en ce moment…

  • Je me retrouve face à beaucoup de personnes plus jeunes, voir beaucoup plus jeunes, qui font et disent la même chose que moi. Qui semblent avoir dépassé des peurs que j’ai toujours. Qui semblent plus à l’aise sur beaucoup de sujets (ok je bosser dans le digital… mais quand même). Suis-je déjà dépassée ?
  • Et en même temps qui manquent d’une forme de quelque chose parfois qui me manque, et que j’ai besoin d’aller chercher chez des “plus vieux”. Suis je gérontocrate ?
  • Je me retrouve face à des gens plus vieux, auprès desquels je cherche nourriture et vision, pistes et intuitions, et que je ne trouve pas. Suis-je trop exigeante ? Trop naïve ?
  • Et en même temps qui ont un statut un poste une expérience qui me semblent bien supérieurs au mien. Suis-je en retard ?

Mais où sont-ils ces gens de mon âge? De mon âge de vie je veux dire. Incroyable mais vrai, dans aucun cercle professionnel actuellement je ne partage cette équivalence d’âge et de vie. Je me sens donc en avance/en retard, puissante/minuscule, humble/prétentieuse, meneuse/suiveuse, en retrait/en avant, fière/honteuse… Tout en même temps !

Je crois qu’en t’écrivant la réponse me vient d’elle-même : il n’y en a pas, ou alors juste pour un temps. Mon rythme est singulier et c’est une chance d’avoir des compagnons de route mais normal de faire des portions seule. Allez ma grande, marche seule et hauts les cœurs !

A toi chère amie 🙂

F/.

One thought on “Solitude générationnelle”

  1. Bonsoir F/,

    C’est dans la pénombre, le reste de la famille étant couché, que je réponds à ton bonbon. Je viens de finir un livre où l’auteur dit qu’il trouve terriblement dommage que le lecteur ne sache pas dans quelle condition, à quelle heure de la journée, dans quel état d’esprit le texte qu’il est en train de lire a été écrit. Je me suis dit qu’il avait raison, et que c’est aussi ca que j’aimais dans nos bonbons – savoir où tu étais quand tu écrivais, dans quel sentiment du moment, et à quelle heure de la journée tu partageais tes pensées.

    La question de l’âge… vaste question. Une fois encore, en te lisant, je me dis que nous partageons tellement de choses et de réflexions, tout en les abordant de manière tellement différente! Quelle richesse de ces bonbons du coup!

    Je n’ai pendant longtemps pas du tout prêté attention à mon âge. Les anniversaires ne me font pas beaucoup d’effet (y compris les âges ronds qui peuvent stresser certains de mes proches), et j’ai toujours été plutôt à l’aise avec l’idée du temps qui passe. Et puis, depuis quelques mois, j’ai commencé à sentir une sorte de décalage. A trouver physiquement des gens “vieux”, dont j’apprenais quelques minutes après qu’ils avaient mon âge, ou moins. Est donc arrivé le questionnement suivant: est-ce que je me sens plus jeune que je ne suis? est-ce que je ne me vois pas vieillir?

    Mon mari me dit depuis que nous nous connaissons: “de toutes façons, toi, tu es née vieille”. Je n’ai jamais approfondi sa pensée, mais j’en comprends que j’ai toujours eu un côté raisonnable et raisonné, sérieux, réfléchi qui me catégorisait naturellement chez les “anciens”. Et puis il y a eu ce jour où, je devais avoir 18 ans, un vendeur au guichet de la SNCF ne voulait pas me croire que j’avais moins de 25 ans, et moi en face qui ne comprenais pas comment c’était possible.

    Bref, cette tension permanente entre l’image qu’on donne de soi et celle qui est perçue par les autres. Entre une femme qui est vue comme raisonnable et posée, mature, mais qui rêve au fond de se reconnecter à son enfant intérieur et d’exprimer son grain de folie. De faire et de dire n’importe quoi. De lâcher du lest et de, justement, ne pas toujours être vue comme cet ancrage fort et fiable que tout le monde perçoit et apprécie. L’âge c’est dans la tête dit-on. Mais que se passe-t-il quand la tête ne sait pas quel âge elle a véritablement? Est-ce si grave au fond? Peut-être que finalement, l’enfant qui est en toi, tu ne peux le rencontrer véritablement qu’à la fin de ta vie, une fois que tu es passé par tous les âges…

    Je te souhaite une bonne nuit, et t’embrasse bien fort,
    V/

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