Le droit de mal écouter

Salut F/ !

Je t’écris en ce lundi matin, te sachant sous la canicule parisienne alors qu’ici, il fait frais et il pleut… Deux villes, deux ambiances ! Je t’enverrais bien un peu de fraîcheur pour te soulager, et si tu pouvais m’envoyer un peu de soleil, je ne dirais pas non 🙂

En cette journée morose (au moins nos WhatsApp du matin nous ont appris que nous partagions cela aujourd’hui), je voulais revenir sur ce thème qui m’est cher : celui de l’écoute. Je t’avais dit il y quelques semaines dans un message vocal que je me posais une question fondamentale : “pourquoi était-ce communément admis que cela ne se faisait pas de “mal parler” à quelqu’un, mais qu’il était visiblement bien moins grave de “mal écouter”? “. En effet, il me semblait que jusque-là dans ma vie, j’avais été plusieurs fois témoin de situations où j’entendais “tu ne me parles pas comme ça !” (qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes d’ailleurs) ou “et là, il m’a mal parlé, ça m’a énervé!”. En revanche, beaucoup moins de phrases liées à l’écoute, ou tout du moins exprimées ouvertement dans l’espace public.
Depuis, cette question a fait son chemin, et je la partage avec certains de mes interlocuteurs, quand cela se présente. Je te fais part aujourd’hui d’une réflexion intéressante qu’a faite l’une de mes amies coach : selon elle, il n’est possible de bien écouter l’autre que lorsqu’on est en mesure de bien s’écouter soi. Cette idée m’a fait penser à une citation du Dalaï Lama qui m’avait, elle aussi, bien fait réfléchir à sa lecture : ” Quand tu parles, tu ne fais que répéter ce que tu sais. Mais quand tu écoutes, tu peux apprendre quelque chose de nouveau.

A l’époque, je m’étais dit qu’effectivement, se taire et écouter permettait de découvrir quelque chose de nouveau sur l’autre ou de l’autre. Je prends maintenant conscience qu’écouter l’autre permet aussi et avant tout d’apprendre des choses sur soi, en prêtant attention à ses propres ressentis, les idées qui traversent l’esprit en entendant telle ou telle histoire, les jugements qui surgissent, les convictions que viennent chatouiller les paroles prononcées.

Dans une société où il est valorisé de s’exprimer (en public, sur les réseaux sociaux, …), et pour moi qui, comme je le disais dans un bonbon précédent, suis plutôt à l’aise dans ce monde de l’oral, je trouve réconfortant de se dire qu’il y en a un autre, complémentaire et qui permet de passer de “l’autre côté”, de plonger au fond de soi, tout aussi riche que le premier.

Une forme de développement personnel gratuite et sans limite, en somme! Que c’est bon de se dire que nous apprenons tout au long de notre vie.

Je t’embrasse et te souhaite une bonne journée malgré la canicule et les petits tracas du quotidien.

V/

Avoir un café du coin

Hello V/,

J’ai du mal à ouvrir un ordinateur hors des longues heures de boulot en ce moment, ce qui décale imperceptiblement nos bonbons du lundi… Et je suis encore dans un train.

Je ne comprends toujours pas ce qu’il se passe quand je me mets à t’écrire, ça n’est jamais ce que j’ai pensé qui vient. Aujourd’hui j’avais envie de partager avec toi quelque chose qui fait du bien, et pas mon humeur du moment. Et ce qui vient, c’est que je te parle encore de mon café du coin !

Un café du coin, c’est presque chez soi mais c’est pas chez soi. C’est un café qui ne demande pas d’effort psychologique (ou physiques !) pour y aller, il est pas loin, ou sur la route, peu importe la tête qu’il a c’est son emplacement en plein milieu de ta vie quotidienne qui le définit et pas “le fooding” ou “le bonbon” (NB : j’avais oublié ce magazine qui a déjà déposé ce nom )

Les tôliers c’est important aussi. Selon ta nature il faut les chaleureux qui accueillent, les blagueurs qui divertissent, les taiseux qui respectent… Certains savent quand faire quoi et là ça peut devenir un vrai café du coin. Je ne sais pas si ces gens là se doutent de la place qu’il tiennent dans ta vie, toi qui ne fait que passer chez eux.

Les autres clients aussi c’est important, ils ne doivent pas te ressembler non. Mais ils doivent te permettre d’être là toute seule en étant bien. Bon, pas forcément la première fois, mais au bout de quelques fois, quand ils se sont habitués à toi, ne te fixent plus, te saluent de loin ou de près, te laissent la place que t’aimes…

Un comptoir ou tu peux t’asseoir, ou les tasses et les bock claquent, et qui est froid sous tes coudes. Un vrai, ou le café est deux fois moins cher qu’à table.

Et le reste c’est du plus, c’est le fait que tu puisses grignoter, te connecter… A l’occasion.

Le café du coin, on peut y aller le matin, parce que la perspective de sortir de chez soi pour voir des visages « habituels » et boire un café au comptoir est plus facile à envisager quand on ouvre l’œil que celle d’aller directement au métro ou au boulot (et le dodo est derrière nous donc…).

Quand « trop travailler rend malheureux », on peut y aller pour faire l’inverse de ce qui nous fait plonger : s’obliger à y passer le matin avant d’aller travailler, et arriver plus tard quand on voudrait arriver plus tôt. Y travailler quelques heures au lieu d’aller au bureau quand on a besoin de s’isoler. Y faire l’école buissonnière après un petit déjeuner ou un déjeuner pour se rendre compte qu’il y toujours du plaisir dans la procrastination !

Le soir, on peut y aller pour rendre le quotidien festif. Une invitation rapide, un verre impromptu, un moment où l’on sort sans avoir vraiment à faire l’effort de sortir. Avant de rentrer chez soi sans effort non plus.

On peut aussi , le soir, en faire un sas de décompression génial : un passage là pour laisser sa journée avant de rentrer. Laisser des humeurs qu’on n’a pas envie d’inviter chez soi. Y aller seule pour mieux retrouver ceux qui attendent à la maison, ou y aller à plusieurs pour mieux rentrer ensemble. On peut y discuter beaucoup, parler de la vie, lire les journaux, regarder un match, se poser là, ne rien faire, attendre, ne pas être seul, ou l’être au milieu d’autres.

Le week-end, c’est pas les mêmes gens c’est pas les mêmes heures. Le temps est plus long, plus étiré, et il y a toujours quelqu’un pour accueillir tes lendemains de soirée.

Et puis tu peux même y laisser tes clés, pour ta famille ou tes amis. Ou bien pour toi quand tu es à la rue parce que tu es parfois trop toi et dans ces cas là y a souci. Ou que Air France a perdu ton sac où elles étaient rangées, aussi…

Le café du coin c’est l’aventure au coin de la rue, c’est ton assurance hébergement, et c’est aussi un des seuls endroit sans engagement ! Pas de compte, pas d’attentes, pas d’habitudes, pas d’abonnement.

Et c’est là que j’aimerais bien te retrouver plus souvent, et surtout en ce moment.

Je t’embrasse.

F/.

Mauvaise mère ?

Bonsoir F/, J’espère que tu vas bien ce soir, et que tu as retrouvé la sérénité que tu espérais auprès de ton homme… Qu’elles sont difficiles, ces périodes où on passe notre temps à serrer les dents au boulot en attendant des jours meilleurs, alors que nous avons entre temps tant d’outils et de bonnes pratiques entre les mains pour prendre du recul et garder la tête froide!
En parlant de tête froide, j’ai envie de parler ce soir d’un sujet que j’ai déjà maintes fois abordé dans nos échanges vocaux mais qui, encore et toujours, m’énerve au plus haut point. En “scrollant” sur mon téléphone à lire des articles sur les réseaux sociaux, je tombe sur un exemple parfait de ce qui me fait bondir. Je te fais part du début (pas besoin d’aller beaucoup plus loin pour comprendre la teneur de cet article…):

“J’ai levé des fonds pendant ma grossesse. Avec du recul, cette épreuve a été extrêmement bénéfique pour la société : nous avons revu toutes nos méthodes de travail afin d’avancer plus vite, plus efficacement et notre croissance n’a jamais été aussi importante.”
Au-delà du sujet que tu as traité dans un bonbon précédent (nous nous trouvons de toute évidence face à un article qui doit pousser une grosse majorité de lecteurs à se demander pourquoi eux ne sont pas capables de ce genre d’exploits), je m’étonne une fois encore des injonctions permanentes que notre société renvoie aux mères, de façon plus ou moins insidieuse. Même en pleine grossesse, on ne pourrait pas nous ficher la paix ? Non, il faut encore lever des fonds, monter des boîtes, en profiter pour devenir une artiste connue dans le monde entier, écrire un bouquin… Et puis d’abord, en quoi cette information sur la grossesse de cette dame est-elle si importante dans le fait de lever des fonds?

Vivant actuellement en parallèle les deux expériences d’élever des enfants et de développer une activité professionnelle indépendante, je trouve incroyable qu’on ne lise pas plus d’articles sur la difficulté à tout mener de front, à continuer à avoir non seulement une vie professionnelle satisfaisante avec des enfants en bas âge, mais aussi une vie de couple, une vie intérieure et créative, une vie amicale. Tu le sais, j’avais déjà vécu le fait de devenir mère comme un des plus grands hold-ups de tous les temps (j’ai très envie d’écrire un article à ce sujet, mais je crois que je n’assume pas encore complètement la radicalité de mon propos), mais la question de l’entrepreneuriat en tant que mère de jeunes enfants en tient une couche aussi.

Il serait à mon sens tellement plus intéressant et utile à tous et toutes que cette femme raconte sincèrement et avec authenticité comment elle a vécu cet événement de vie, en partageant ses doutes, en montrant sa vulnérabilité, au lieu de continuer à renforcer les codes du monde actuel du business – toujours plus loin, plus dur, plus fort…

Coup de gueule du soir, bonsoir – la guerrière féministe en moi se réveille !

Je penserai bien à toi demain matin – invitation Outlook dans mon agenda ou pas.

Grosses bises!

V/.

Nager dans l’impermanence

Hello V/ !

J’écris dans mon TGV du matin, car je n’ai pas eu un moment seule hier pour écrire. Il faut donc que tu imagines en lisant le paysage qui défile… Mais aussi mon état moyennement cool car cela tangue et je suis malade quand j’utilise mon ordinateur dans le train. Ce sera peut-être, contrairement à l’habitude, un bonbon en deux jets.

Je t’ai laissée Dimanche sur une phrase un peu sibylline qui a éveillé ta curiosité. Au constat « je m’impose des choses (…) il faut que je prenne soin de moi » je t’ai répondu « pense bien à dissocier le soin du plaisir ». So here is the post ! (oh on vient de heurter un troupeau de chevreuils, je suis très triste, je fais des souhaits avant de reprendre)

(…) Bon, ce post finit pas porter très mal son nom initial « Ne pas bouder son plaisir ! » : nous sommes arrêtés pour une durée indéterminée en pleine voie après cet accident meurtrier. Je vais donc plutôt faire un aparté sur l’impermanence, parce qu’elle est à double titre d’actualité : impermanence au sens absolu, de la vie, pour ces pauvres chevreuils, et impermanence des choses au sens très relatif pour moi et mes co-voyageurs qui vivons un moment ou rien ne se passe comme prévu.

L’impermanence c’est l’un des concepts centraux dans le Bouddhisme. En partie parce qu’elle est l’une des principales causes de souffrance humaine. Les choses changent et passent toutes, quoi qu’il arrive, la seule question étant « quand » et pas « si ». Et comme nous humains n’avons pas intégré cette impermanence, nous souffrons régulièrement de l’attachement ou de la saisie que nous faisons des choses et des relations que nous voulons ou souhaitons stables, immuables, sûres. Évidemment l’application ultime est liée à la mort, mais je préfère te parler de la façon donc je l’intègre aujourd’hui dans ma situation.

D’abord, prendre la réalité telle qu’elle est, ni plus, ni moins. Le train a heurté, il s’est arrêté, on ne sera pas à l’heure attendue. Inutile de refuser la réalité où d’essayer de s’accrocher à un miracle. Ni de faire du story telling en commentant 14 fois l’évènement avec moult hypothèses non vérifiées avec les passagers, les réseaux, les textos… Ecrire un message simple pour annuler la première réunion sans en faire des caisses.

Ensuite, lâcher prise. Ne pas faire de nœuds avec le futur et le passé du type « si j’avais pris le train d’avant », « si je n’arrive pas pour telle réunion ils vont penser ça », « si on reste bloqués carrément toute la matinée je fais quoi ? », « il va peut-être falloir que je change mon mode de vie quand même si les trains ne sont pas fiables »… Rester dans le présent et se détendre, rien n’est encore joué inutile de spéculer sur des choses désagréables.

Connecter la compassion, et se relier à ceux qui souffrent de cette situation : je pense aux chevreuils, au chauffeur en train d’inspecter tout ça, et aux personnes dans le train qui mettent une journée peut-être plus importante que moi en péril. Il doit y en avoir des rendez-vous qu’on n’a qu’une fois qui seront manqués aujourd’hui !

Et puis, en profiter pour se connecter à soi et voir ce qu’il se passe, et ce qu’il est possible de faire dans cette nouvelle donne avec les éléments et le contexte à disposition : moi, j’ai le temps de t’écrire sans avoir mal au cœur car ça ne bouge plus. Une dame dit que ça lui apprend comment utiliser le partage de connexion avec son téléphone. Méditer un peu, lire, en venir à prendre cette pause au calme et au chaud comme un agréable moment.

En fait, il faut changer son cadre de référence, ne plus vivre cette journée “par rapport à ce qu’elle aurait du être”. Reboot du cerveau. C’est “être frais d’un jour à l’autre”, voire même d’un instant à l’autre. L’inverse provoquerait stress, ressentiment, énervement, colère, peur, excitation, fatigue… Je sais de quoi je parle j’ai longtemps pratiqué ce versant-là !

Une petite phrase d’un Lama pour te quitter en douceur :

« Ce qui est le plus dur, c’est quand on lutte contre le fleuve de la vie et qu’on ne veut pas accepter les changements. (…) Quand on apprend à nager avec le fleuve, c’est beaucoup mieux, c’est beaucoup plus facile. L’esprit est plus léger et plus joyeux. »

Un peu moins statique que « faire la planche », tout aussi nécessaire ! Je te souhaite une semaine fluide et je t’embrasse.

F/.

Quand les gens parlent autour de toi, écoute complètement

Salut F/.

Comment vas-tu en ce début de semaine chargée ? J’espère que tu tiens le coup et que toute l’énergie que tu as pu puiser ce long week-end dans ta maison à la campagne ne s’est pas envolée au moment où tu as posé le pied à Montparnasse !

De mon côté, petit moral depuis hier. J’ai tout d’abord imaginé appeler ce post « quand travailler beaucoup rend malheureux », et puis je me suis dit que finalement, mon problème du moment n’était pas là, ou en tous cas pas seulement là.

Depuis mon entrée dans la « vie active » (comme si j’avais passé ma vie allongée sur un canapé avant mes 24 ans !), je supporte mal ces périodes où je suis surchargée de travail et vis de rendu en rendu, de réunion en réunion, à la merci des demandes de clients qui, souvent, il faut bien le dire, entrent dans ce vaste champ que j’appelle « l’urgence artificielle ». Mes plus vifs souvenirs de mes débuts en cabinet d’audit en 2007 se résument à cette envie de pleurer à chaque fois que j’entendais « on fait une pause ? » à 20h ou qu’on me disait « à demain ! » le vendredi soir. La bonne nouvelle, c’est que je devrais, avec plus de 10 ans d’expérience supplémentaire et ce fameux statut d’indépendante avoir tous les moyens à ma portée pour ne plus revivre ces moments-là. La mauvaise, c’est que je n’arrive toujours pas à les accepter, voire même que les sentiments de rejet de « cette vie-là » sont de plus en plus forts.

Alors je me suis posé la question classique : es-tu sûre que ce boulot dans lequel tu mets tant d’énergie ait du sens pour toi ? qu’il en vaille la peine ? Après réflexion, ce que je me dis est beaucoup plus simple : ce qui m’importe par-dessus tout dans la vie, c’est d’avoir du temps pour ce qui compte vraiment :

Une attention sincère et véritable accordée à l’autre, une présence authentique et lucide à l’autre et à soi.

Et il se trouve que travailler beaucoup m’empêche justement de faire ça. Ma « bande passante de cerveau » rétrécit, mon attention s’étiole, la fatigue me gagne, et je passe à côté de toutes ces petites choses qui rendent le quotidien si savoureux. Je crois que je suis devenue accro à l’instant présent : le vivre pleinement, en pleine conscience et capacité de mes moyens. La question est maintenant : comment s’assurer cette qualité de vie au quotidien ? au moins un peu ?

Je te laisse avec une phrase d’Hemingway que j’aime beaucoup :

« Quand les gens parlent autour de toi, écoute complètement. Ne réfléchis pas à ce que tu vas dire. La plupart des gens n’écoutent jamais. D’ailleurs, il ne regardent pas non plus ».

Je t’embrasse,

V/.