Vous n’aurez pas ma peur

Salut F/!


Comment vas-tu, en cette première semaine de déconfinement? Comme tu me le disais récemment, cela n’a peut-être pas changé grand chose pour vous… Ici non plus, du fait de l’absence de reprise d’école, le changement n’est pas net… Même si la réouverture de certains magasins, dont ma librairie chérie, m’a mis le coeur en joie ce matin!


Ce week-end, alors que nous faisions un dernier tour de quartier munis de nos fameuses attestations, nous sommes passés devant la maison d’une de mes amies qui venait d’avoir un bébé au moment où le coronavirus a commencé à frapper la France. Je lui ai passé un coup de fil, lui proposant de nous dire bonjour à la fenêtre. Nous retrouvant avec plaisir, elle nous a proposé d’entrer, ce que nous avons fait sans nous poser de questions. Cela nous faisait plaisir à nous aussi de retrouver un semblant de vie sociale, et les enfants étaient ravis de mettre les pieds dans un logement différent de notre appartement!


Au bout de quelques minutes, par contre, je ressens un énorme malaise. Il me saute au yeux que son ami n’est lui pas ravi du tout de nous voir ici. Il tient ses distances, ne décroche pas un mot, et regarde nos enfants (qui, comme toujours, il faut bien l’avouer, ont vite pris possession des lieux) avec un regard désapprobateur. Tout, de son langage non verbal, nous disait de partir, ce que, gênés, nous avons fait au bout de quelques minutes.


Ma première réaction a été de juger son attitude, la trouvant un peu ridicule, à quelques heures de la fin du confinement. Après réflexion, je crois aussi (et c’est intéressant d’une certaine manière) que j’ai été un peu choquée, pour la première fois de ma vie, de m’être sentie sale, dangereuse. En tant que franco-allemande, j’ai souvent fait l’expérience de la différence, d’être vue comme une “autre”. Mais jamais je n’avais expérimenté ce que certaines personnes racisées racontent, comme l’avaient fait les employés de Roissy qui me racontaient leurs de histoires de clients qui ne voulaient pas qu’ils les touchent en rendant la monnaie, ou qu’ils touchent leurs enfants. Ou les personnes d’origine asiatique, qui souffrent de ce types de comportements depuis l’arrivée du virus en Europe. Franchement, c’est dur, violent, humiliant.


Finalement, je crois que mon sentiment qui perdure, c’est celui de la tristesse. Comment en sommes-nous arrivés là? A boire l’apéro ensemble début mars, et à ne plus supporter de passer quelques minutes ensemble deux mois après? A faire des détours énormes sur les trottoirs pour ne pas se croiser? A coller du scotch par terre dans les écoles et à refuser que les enfants jouent ensemble? C’est ca la vie, à partir de maintenant? Ca n’a pas de sens, et j’irais même jusqu’à dire que je n’en veux pas, de cette vie-là. Le contact humain, y compris physique, est ce qui rend nos vies intéressantes, vibrantes. Je ne veux pas qu’on me vole du temps de vie là-dessus.


Je t’embrasse, et espère te revoir, en vrai et de près, bientôt,

V/.