Salut F/,
Depuis ce matin, je suis triste. Profondément triste. Une de ces tristesses que tu emmènes partout avec toi. Une tristesse à laquelle je ne suis pas habituée, moi qui suis bien plus familière de la joie et de la colère. Je ne savais pas avec qui la partager, que faire de cette tristesse. Et puis je suis tombée sur le livre “365 jours pour retrouver son âme d’enfant” de Christie Vanbremeeersch, et j’ai pensé à toi, à ces bonbons, comme lieu de dépôt des émotions.
Je suis triste car ce matin, mon mari est allé faire un tournage pour une nouvelle appli de rencontres. Un tournage bénévole, pour faire plaisir à une copine, un dimanche matin. Encore un tournage où il doit faire semblant de tomber amoureux d’une femme, puis l’embrasser, pour “la beauté de l’art”. Je dis “encore”, car cela fait plusieurs fois, en 10 ans, que cela arrive. Il y a eu le court métrage – nous nous connaissions depuis quelques semaines – où il embrassait à pleine bouche la comédienne dans la scène finale. La pièce de théâtre où il était fou amoureux d’une autre et où toutes ses scènes tournaient autour de la séduction de cette femme. Et d’autres encore. Et à chaque fois, ça me tord le bide.
Je crois que ce qui me tord encore plus le ventre que la scène elle-même, c’est l’incompréhension dont il fait preuve quand je lui fais part de mon sentiment de tristesse. Il se braque, se ferme, me trouve ridicule… La communication est impossible, je me sens comme la petite chieuse qui fait son caprice, qui empêche son mari de se rapprocher un peu plus de son rêve de devenir comédien. Je ne comprends pas qu’on puisse nier un sentiment aussi fort chez son partenaire de vie. Qu’on ait aussi peu envie de le comprendre.
Alors je vais utiliser les ficelles habituelles. Dormir, faire du sport, voir les gens qui me font du bien. Mais malgré tout, je ne sais pas quoi faire de cette tristesse, et je sais qu’elle reste là, tapie, jusqu’à la prochaine fois.
Merci en tout cas de la recevoir dans ce bonbon. Je ne sais pas si c’est réconfortant, mais déjà, ça fait du bien.
Bises et bon week-end,
V/.
Chère V/,
Je suis triste en te lisant, car je ne peux pas te réconforter. Parce que je sais que cette tristesse là, seul est en mesure de la déraciner celui par qui elle advient. Et manifestement celui-ci n’a pas pris sa serfouette pour commencer le travail, en tous cas pas ce dimanche.
Je suis triste, parce que je sens cette tristesse solide, collante, lourde et archaïque. Angoissante. Puissante. Ceux qui pensent que l’on peut la nier, qui nous renvoie à un caprice, ne comprennent pas que la volonté n’est pas une arme dans ce domaine.
Je suis triste parce que cet espace intime, précieux, protégé, interdit aux autres, t’est “encore” arraché pour “faire semblant”. Même semblant, c’est trop. Je comprends.
Je suis triste à l’idée de ce long dimanche entristé que tu as passé, même si tu sais les ficelles qu’il faut tirer. Tirer c’est dur, ces dimanches là.
Je fais le souhait d’absorber un peu de cette tristesse à travers ce bonbon. Flaubert, ce grand spécialiste de la tristesse, disait que “Nier l’existence des sentiments tristes parce qu’ils sont tristes, c’est nier le soleil tant qu’il n’est pas midi”.Pour avoir eu le courage de ne pas nier, j’espère que ton midi reviendra vite.
Je t’embrasse.
F/.