Salut F/,
Après un long silence, qui s’explique principalement par des journées de vacances en famille bien remplies, je t’écris depuis mon vol vers Bruxelles pour partager avec toi des réflexions et questionnements assez intimes, qui m’occupent l’esprit ces dernières semaines.
Depuis quelques jours, je m’étonne de constater que de plus en plus, je vois les qualités des gens qui me sont proches ou que je côtoie régulièrement (et avec une encore plus grande surprise, celles de mes beaux-parents !). Pas que jusque-là, je ne voyais que leurs défauts, c’est bien plus subtil que ça, mais disons que je ne pouvais m’empêcher de noter des choses qui me plaisaient moins, de porter un jugement négatif sur certains traits de personnalité. Et puis voilà que je me surprends à voir de manière évidente et magistrale les qualités de chacun, ce qui fait sa valeur profonde, qui le rend « aimable ». Tu me connais, je me suis donc vite posé ma question préférée : « mais pourquoi ? ». Je crois que le processus a clairement commencé lorsque j’ai ouvert la réflexion autour du concept de vulnérabilité. Assez vite, j’ai réalisé que pour développer des relations profondes et authentiques (sujet central chez moi depuis toujours), il était illusoire de se contenter de montrer son côté fort, lisse, social – ce que Jung appelle, je crois, la persona. Quel changement de paradigme pour moi qui l’avais si bien travaillée, cette persona !
Creusant encore un peu plus loin, j’ai commencé à lire des textes sur nos ombres, et en particulier le livre de Jean Monbourquette, « Apprivoiser son ombre ».
Sa lecture m’a fait réaliser que, plus que de montrer son moi « parfait » et conforme, ce sont nos imperfections, nos petites faiblesses, nos questionnements qui créent du lien véritable, et qui donnent cette belle saveur à la vie.
Ca n’a peut-être l’air de rien comme ça, ce petit paragraphe qui a un certain goût de « déjà vu / déjà lu ». Mais je crois bien que ces dernières semaines viennent de me faire faire un bon énorme vers plus d’humilité et de connexion aux autres.
Je t’envoie de grosses bises presque belges, et te dis à très vite !
V/
Ooooh V/!
Quel précieux partage. Je lis et ton message respire l’authenticité, ça n’a pas du tout l’air de rien et je n’ai pas non plus cette impression de deja vu/déjà lu car je sens une expérience toute personnelle et palpable.
J’ai envie d’accuellir avec beaucoup de soin, d’espace et d’amitié ce que tu écris parce que je sens que c’est un vrai acte de mise à nue de quelque chose de profond, d’inhabituel, et oui d’intime et vulnérable. De très fort aussi.
Alors je vais te dire ce que cela provoque en moi à cet instant : un grand élan d’amitié, de proximité, beaucoup de bienveillance, une acceptation inconditionnelle de ce que tu es et aussi une connexion très forte et oui, exactement ce que tu appelles un lien véritable.
Oui, sans aucun doute, cela te rend encore plus aimable, je te le dis du fond du cœur.
Tu as tout compris ou plutôt tout senti.
C’est en meme temps très universel et très singulier. En partant du singulier on touche l’universel et c’est l’universel qui connecte.
Mais n’attends pas pour autant ta “persona” derrière la porte avec un gourdin pour l’assomer dès qu’elle surgit, c’est aussi toi, et c’est aussi celle que j’accueille et qui est mon amie!
Avant de te quitter je t’offre un extrait du roman que je viens de finir qui m’avait touchée et qui raisonne bien là.
Les fantômes du vieux pays – Nathan Hill
p865 ” (…) il n’y a pas une identité vraie cachée parmi de fausses identités. Mais plutôt une identité vraie cachée parmi de nombreuses autres identités vraies. Elle est l’etudiante docile, timide et travailleuse. Elle est l’enfant angoissée, apeurée. Elle est là séductrice audacieuse et impulsive. Elle est l’épouse, la mère. Et tant d’autres encore. La conviction qu’elle a, qu’une seule est réelle, lui cache une vérité plus grande, c’est le même problème qu’avec les aveugles et l’éléphant. Le problème n’est pas qu’ils soient aveugles, mais qu’ils cessent trop vite d’explorer l’animal et ne le saisissent jamais dans son ensemble”
Je t’embrasse, bien fort!
Et merci encore.
F/.